Le dimanche des Palmes

 

01 ouettes

Un aveu : le titre n’est pas de mon cru.

Il est le nom qu’utilisent les Orthodoxes

pour parler du dimanche des Rameaux.

Alors que pour moi, celui du 5 avril 2020

serait plutôt le dimanche des Pieds Palmés…

 

02 rameaux

 

Or donc, en ce début d’avril, il était onze heures à Metz et dans ma bulle. Depuis un mois, je confinais dans un Web bariolé où ma curiosité mordillait les infos. Guetter sur CNN la descente aux enfers d’un Président américain devenait une tragédie shakespearienne aux dimensions d’un clown.

Dans ce climat  très anxiogène, un cri rapeux avait  affolé ma souris. Ça tenait de la  chambre à air à l’agonie ou d'une  corne de brume au Cap Horn. C’est comme on veut.

Tiens-tiens, me dis-je. What is the matter ? Les cloches de Pâques seraient-elles en avance cette année...

A la fenêtre de mon quatrième étage, où le silence qui montait du trottoir se coupe depuis un mois au couteau,  le cri rebondissait d’une mansarde à l’autre. Comme un appel.

« Il y a quelqu’un ? Il y a quelqu’un ? »

Je courrai dans la pièce à côté pour découvrir, solidement campés dans la fenêtre, deux gros oiseaux derrière la vitre. Leur bec n’avait rien d’extra-terrestre, mais dans nos rues vides, je les sentis en grand désarroi. Leur regard fixqait le Quartier impérial et sa Gare sublime, n’en déplaise à ce m'as tu vu de Barrès.

  Nos visiteurs avaient un problème, c’est sûr. Ils cherchaient leur chemin dans une ville minérale  qu'on avait mise  de surcroit en respiration artificielle. Pas un chat pour miauler, pas un chien pour bouger la queue, pas de voitures, pas un vélo. Rien qu’un Mangin en statue de sel, et toujours aussi pète sec.

Soudain, mes deux volailles se retournent et nous voient. Elles nous laissent approcher en douceur, soulagées de trouver  des Messins qui bougent. Pour les photographier , mon épouse et moi progressons comme deux Sioux en pantoufles.. Minute de charme... et nos bestiaux  brusquement décollent sans nous dire au revoir. On s’en fout ! Je les ai dans l'iPad.

Nous les recadrons dans l’ordi. C’est bien ce qu’on pensait. Des “oies cendrées“... enfin, à première vue car je ne suis pas ornithologue. Il nous faudrait farfouiller dans leur intimité pour trouver deux barres noires sous leur ventre blanc… Or chez ces animaux très pudiques, on ne rigole pas avec la vertu. J'ai peur de prendre un coup de bec,  ce qui, chez les  anatidés, vaut la paire de gifles chez les humains. La seule chose dont j'étais  sûr, c’est qu’ils n’étaient pas des Gilets jaunes. Par mail, j’envoie la photo à quelques amis.

André Greiner, qui sait plein de choses, me répond aussitôt que mes oies sont des “Canards d’Egypte“. J’ai l’air malin… Mais pas question de les prendre pour des oisillons tombés du Nil. Quand on les approche, non seulement ils pincent, mais ils mordent.

Dominique Gros, plus tard, nous met d’accord. Ces canards egyptiens à la Grèce d’oie sont des Ouettes. Il les connaît bien avec leurs lunettes noires. Depuis trois ans, du fait du bazar climatique, elles ont colonisé l’ouest messin autour du plan d’eau, en laissant tomber leur aller-retour  annuel chez Toutankhamon. Quand il rejoint à pied son Hôtel de ville, notre maire a souvent l’occasion de saluer ses concitoyennes après les avoir croisées entre Moselle et bras morts. Les miens m’en tombent.

Tant pis pour le scoop. A l’Ouette, rien de nouveau… A l'Est non plus d'ailleurs.  Je ne vois qu’un motif à ce dimanche des Pieds Palmés. Quatre pattes orphelines ont perdu leur Moselle.  Mais j’ignore comment elles ont trouvé l’adresse de ma fenêtre…

Je ne pouvais rien pour elles. Depuis que la région s’appelle Grand-Est, les quatre départements lorrrains pointent aux intermittents.   Nos confrères parisiens, déjà bien connus pour leur ignorance des subtilités locales  excepté la quiche, mes confrères disais-je, les ont carrément oubliés quand ils écrivent sur le virus. C'est comme un gros trou noir entre Alsace et Champagne.

Merci à ces braves bêtes. Je ne parle pas des collègues,  mais de nos beaux oiseaux râleurs. Ils méritent largement la palme car ils ont rechargé nos piles de poésie. Alors que tant de Lorrains sont en souffrance et que le fonds de l’air est lourd.

 JG, 7 avril 2020